5. Les règles uniformes applicables aux procédures visant à l'émanation des mesures provisoires cautelari : compétence, pouvoir du juge et contenu de la demande.

Le moment est venu de présenter brièvement les principales dispositions qui règlent le déroulement des procédures visant à l'émanation des mesures provisoires cautelari (37). A ce propos il faudra dire que jusqu'à la loi de réforme du 26 novembre 1990, n. 353 (art. 74), entrée en vigueur, pour ce qui est de ces procédures, le 1er janvier 1993, les mesures dont on vient de faire état supra (cf. les n. 2, 3 et 4) étaient prononcées à l'issue d'une panoplie de procédures très variées. Le mérite de cette réforme a d'abord été celui de dessiner un système de règles valables pour toutes les procédures en question (saisie conservatoire, séquestre judiciaire, mesures " d'urgence ", etc.), quelles qu'elles soient. En général, donc, les procédures cautelari prévues par le code de procédure civile, par le code civil, ou par les lois complémentaires suivent les règles dictées par les articles de 669-bis à 669-terdecies c.p.c. (38).

Pour ce qui est de la compétence, les règles varient sensiblement selon que la requête soit présentée ante causam (avant que le juge du fond soit saisi) ou lite pendente (au cours du déroulement du procès sur le fond de l'affaire). Dans le premier cas la requête doit être présentée au juge qui serait compétent pour le jugement sur le fond, suivant les règles ordinaires (art. 669-ter, 1er alinéa, c.p.c.). Pourtant, si l'affaire relève de la compétence du juge de paix (normalement lorsqu'il s'agit d'une demande dont le montant n'excède pas la somme de 5 millions de lires), la requête doit être présentée au tribunal territorialement compétent (art. 669-ter, 2e alinéa, c.p.c.). Si le juge italien n'est pas compétent pour le jugement sur le fond, la requête doit être présentée au juge compétent pour l'exécution de la mesure provisoire (art. 669-ter, 3e alinéa, c.p.c.). Il faut ici ajouter que, suite à la récente réforme qui a unifié les tribunaux d'instance (preture) et les tribunaux de grande instance (tribunali) (39) les requêtes doivent pratiquement toujours être présentées à un tribunale (40). Le président du tribunal désigne ensuite le magistrat qui devra traiter l'affaire (art. art. 669-ter, 4e alinéa, c.p.c.).

Si, par contre, la requête est présentée durant le cours d'un procès sur le fond, la demande doit être soumise au juge chargé de la mise en état de la procédure sur le fond. Là aussi, lorsque le jugement se déroule devant le juge de paix, la demande de mesure provisoire doit être présentée au tribunal (art. 669-quater, 1er e 3e alinéa, c.p.c.). Si le litige sur le fond relève de la compétence arbitrale ou si l'instance devant les arbitres est en cours, la requête doit être soumise au juge qui serait compétent selon les règles ordinaires (art. 669-quinquies c.p.c.). La disposition ne s'applique pas à l'arbitrage dit " innommé ", qui constitue un véritable contrat par lequel les parties ont renoncé à toute forme de juridiction étatique, y compris, donc le jugement visant à l'obtention d'une mesure provisoire (41).

Une question d'une certaine importance en matière de compétence touche au problème du possible cumul du provisoire et du fond par un même magistrat. A cet égard une partie de la doctrine suggère au magistrat saisi sur le fond de s'abstenir lorsqu'il a déjà rendu sur l'affaire une ordonnance provisoire ante causam. Cette conclusion est tirée d'une interprétation extensive de l'art. 51 c.p.c., qui impose au juge de s'abstenir lorsqu'il a connu de l'affaire " au cours d'un autre degré du procès " (42). La Cour constitutionnelle, saisie plusieurs fois de la question, l'a pourtant toujours rejetée (43), mais le problème pourrait aussi se poser sous le jour de l'art. 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sous le profil de l'impartialité du juge (44).

Venant aux pouvoirs du juge, on pourra se demander ici quelle influence exercent sur cette matière le principe dispositif et le principe de l'instance qu'informent le système du procès civil italien (45). A ce propos il faut remarquer que si, avant l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions, quelques rares cas de prononcé d'office de mesures d'urgence se sont vérifiés (46), actuellement l'article 669-bis c.p.c. veut que la requête d'une mesure conservatoire soit contenue dans un recours déposé auprès du bureau de greffe du juge compétent par la partie concernée c'est-à-dire par la partie qualifiée pour agir en justice sur le fond (47). Il est donc sûr que les mesures dont il est question ne peuvent pas être octroyées d'office par le juge.

Pour ce qui est du principe de la correspondance entre la demande et la décision (nec ultra nec extra petita), selon lequel le juge doit se prononcer sur tout ce qui lui est demandé et seulement sur ce qui est demandé (art. 112 c.p.c.) (48) il est sûr que le juge ne peut pas accorder une mesure d'un type différent par rapport à celle qui a été requise par la partie. Ainsi, le juge auquel une saisie conservatoire a été demandée ne pourra pas prononcer un séquestre judiciaire, ni une mesure atypique (49).

Par ailleurs, le juge ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire pour ce qui est du contenu de la mesure par rapport à ce qui a été concrètement demandé par la partie, et cela même dans la procédure d'urgence prévue par l'art. 700 c.p.c. A vrai dire, il s'agit là d'une question très controversée : il me parait pourtant que le principe général nec ultra nec extra petita ne puisse pas subir d'exceptions, surtout là où elles ne sont pas expressément prévues par la loi. Il en suit donc que le juge, par son ordonnance, peut concéder un " minus " par rapport à ce que la partie a demandé (p. ex. : le séquestre judiciaire d'un des deux immeubles sur lesquels il a été demandé), mais jamais un " aliud " (p. ex. : le séquestre d'un bien différent) (50). La conclusion marque donc une différence par rapport à la situation des référés français, où le juge a la possibilité de déterminer librement la mesure qui lui semble la plus appropriée, " sans être tenu, sauf en matière de provision, par l'objet de la demande dont il est saisi, sans être réduit à l'alternative d'admettre ou de refuser la mesure qu'il est sollicité de prescrire " (51).

Pour ce qui est du contenu de la demande, l'article 669-bis c.p.c. ne règle que l'aspect formel de la demande de mesures provisoires cautelari ; son contenu doit être recherché dans la norme générale du code de procédure civile, à savoir l'article 125. Cette norme stipule que, sauf disposition spécifique, les actes des parties doivent indiquer le juge, les parties, l'objet, les raisons de la demande et les conclusions de l'instance. Une des questions discutées à ce propos en Italie est de savoir si, dans la demande proposée ante causam, on doit formuler les conclusions sur le fond. La doctrine et la jurisprudence mettent en évidence combien il est indispensable, pour permettre au juge d'anticiper les effets du jugement sur le fond, que la partie indique déjà, dans son recours, les conclusions qu'elle présentera dans le procès au fond. Les indices normatifs donnés par le législateur de la réforme, qui accentuent le rapport d'instrumentalité des mesures provisoires avec le jugement sur le fond (voir les articles 669-ter, 669-octies, 669-novies c.p.c.), portent à conclure que le demandeur doit annoncer les conclusions de la demande sur le fond dans son recours visant à obtenir une mesure provisoire ante causam (52). Bien entendu, il n'est pas nécessaire que les conclusions soient énoncées de façon explicite et " solemnelle ", pourvu qu'on puisse clairement les déduire du contenu de la requête.
 
 

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Notes
 

(37) Sur le sujet cf. : Chiarloni, " Riflessioni inattuali sulla novella del processo civile ", Foro italiano, 1990, V, c. 500 et s. ; Attardi, Le nuove disposizioni sul processo civile e il progetto del Senato sul giudice di pace, Padova, 1991, p. 229 et s. ; Carpi, Colesanti et Taruffo, Commentario breve al codice di procedura civile, Appendice di aggiornamento sous la direction de F. Carpi e M. Taruffo, Padova, 1991, p. 205 et s. ; Consolo, Luiso et Sassani, La riforma del processo civile, Milano, 1991, p. 418 et s. ; D'Aietti, Frasca, Manzi et Miele, I provvedimenti cautelari. La riforma del processo civile, Milano, 1991 ; Giusti, " La disciplina del processo cautelare nella riforma del processo civile ", Giustizia civile, 1991, II, 379 et s. ; Mandrioli, Le modifiche del processo civile, Torino, 1991, p. 175 et s. ; Montesano et Arieta, Il nuovo processo civile, Napoli, 1991, p. 118 et s. ; Olivieri, " I provvedimenti cautelari nel nuovo processo civile (legge 26 novembre 1990, n. 353) ", Rivista di diritto processuale, 1991, p. 688 et s. ; Proto Pisani, " La nuova disciplina dei procedimenti cautelari in generale ", Foro italiano, 1991, V, c. 57 et s. ; Proto Pisani, La nuova disciplina del processo civile, Napoli, 1991, p. 294 et s. ; Saletti, " Appunti sulla nuova disciplina delle misure cautelari ", Rivista di diritto processuale, 1991, 355 et s.; Tommaseo, " Commento agli artt. da 73 a 77, l. 26 novembre 1990, n. 353 ", Corriere giuridico, 1991, p. 95 et s. ; Verde, " Commento agli artt. 669-bis a 669-quaterdecies ", dans Verde et Di Nanni, Codice di procedura civile. Legge 26 novembre 1990, n. 353, Torino, 1991, p. 239 et s. ; Frus, Provvedimenti cautelari, Commentaire à l'art. 74 de la loi du 26 novembre 1990, n. 353, dans l'ouvrage collectif Le riforme del processo civile, sous la direction de S. Chiarloni, Bologna, 1992, p. 603-804 ; Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc. ; cf. aussi l'ouvrage collectif Il nuovo processo cautelare, sous la direction de G. Tarzia, préc.

(38) Cf. l'art. 669-quaterdecies c.p.c., qui pourtant soumet les mesures provisoires (ou, plus exactement, les règles de procédure à suivre pour aboutir aux mesures provisoires) prévues par le code civil et par les lois complémentaires au respect du principe de compatibilité avec les règles stipulées par les art. 669-bis et s. c.p.c. Sur le thème cf. Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc., p. 135 et s. ; Costantino, Scritti sulla riforma della giustizia civile, Torino, 1996, p. 305-344.

(39) Cf. le decreto legislativo du 19 février 1998, n. 51 entré en vigueur, pour ce qui est des matières civiles, le 2 juin 1999.

(40) Il faut seulement excepter le cas où la procédure tombe sous la compétence de la Cour d'appel (art. 669-terdecies, 2e alinéa, c.p.c.).

(41) Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc., p. 10 et s. ; dans le même sens cf. Salvaneschi, " Mesures provisoires et arbitrage en droit italien ", dans l'ouvrage collectif Les mesures provisoires en droit belge, français et italien. Etude de droit comparé, sous la direction de J. Van Compernolle et de G. Tarzia, Bruxelles, 1998, p. 457 et s.

(42) Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc., p. 2 et s., note 8.

(43) Cf. Corte cost., 7 novembre 1997, n. 326 ; Corte cost., 26 mai 1998, n. 193 ; Corte cost., 21 octobre 1998, n. 359 (les arrêts et les ordonnances de la Cour constitutionnelle italienne sont disponibles à la page web suivante : <http://www.giurcost.org/>).

(44) Sur ce thème cf. Moretti, " Le cumul du provisoire et du fond par un même juge et l'impartialité requise par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ", dans l'ouvrage collectif Les mesures provisoires en droit belge, français et italien. Etude de droit comparé, sous la direction de J. Van Compernolle et de G. Tarzia, Bruxelles, 1998, p. 247 et s.

(45) Aux termes de l'article 99 c.p.c. celui qui veut faire valoir ses droits en justice doit en faire instance au juge compétent (cf. aussi l'article 2907 c.c.). Il s'agit d'une règle étroitement liée au principe d'égalité des parties et de l'impartialité du juge qui, pour rester impartial, doit se limiter à rendre justice à ceux qui la lui demandent. Donc, dans notre système, le juge, en matière civile, ne peut pas procéder d'office (ne procedat judex ex officio), mais il doit toujours être investi par la demande d'une ou de plusieurs parties. Il y a pourtant des exceptions à ce principe, notamment lorsqu'il s'agit de protéger des intérêts qui sont perçus par le législateur comme très importants. Ainsi la faillite d'une personne physique ou d'une société peut être déclarée d'office par le tribunal (cf. article 6 du regio decreto du 13 mars 1942, n. 267). En matière d'enfance, le tribunal pour les mineurs peut, en cas d'urgence, adopter toutes les mesures temporaires dans l'intérêt des mineurs vis-à-vis de leurs parents (cf. art. 336, 3e alinéa, c.c.) ; aussi la procédure de déclaration d'adoptabilité peut être entamée d'office par le même tribunal (article 8 de la loi du 4 mai 1983, n. 184).

(46) Ghirga, " L'application aux mesures provisoires du principe dispositif et du principe de la contradiction en droit italien ", préc., p.117.

(47) Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc., p. 25 et s.

(48) Cf. aussi l'art. 5 du Nouveau Code de procédure civile français. Il faudra cependant remarquer que, dans la procédure ordinaire, la violation de cette règle (comme d'ailleurs la violation de presque toutes les règles de la procédure civile) ne donne lieu qu'à un droit de se pourvoir en appel (ou, le cas échéant, en cassation) contre l'arrêt qui est allé extra ou ultra petita partium (c'est-à-dire, qui est allé au-delà de ce que les parties avaient demandé). Si, par contre, l'arrêt a l'autorité de la chose jugée, la violation est régularisée.

(49) Ghirga, " L'application aux mesures provisoires du principe dispositif et du principe de la contradiction en droit italien ", préc., p. 119.

(50) Sur ce sujet cf. Ghirga, " L'application aux mesures provisoires du principe dispositif et du principe de la contradiction en droit italien ", préc., p. 119 et s.

(51) Normand, Principes directeurs du procès, Paris, 1995, p. 151.

(52) Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc., p. 27.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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