7. Les règles uniformes applicables aux procédures visant à l'émanation des mesures provisoirescautelari : caducité et rétractation des mesures provisoires ; les voies de recours.

On a déjà rappelé la règle fondamentale de l'instrumentalité de la mesure, c'est-à-dire la règle selon laquelle la mesure ne peut pas subsister si non en vue et en fonction d'un jugement sur le fond de l'affaire, rendu en pleine connaissance de cause et avec le respect de la procédure ordinaire. Cette même règle veut donc que le jugement de fond, quel qu'il soit, " remplace " pour ainsi dire la décision provisoire. Et cela non seulement lorsque la décision définitive rejette la demande sur le fond qui avait été à titre provisoire " sauvegardée " par la mesure (art. 669-novies, 3e alinéa c.p.c.), mais aussi lorsque le juge du fond rend une décision conforme à cette demande. La décision sur le fond favorable à la partie qui avait obtenu la mesure est un titre exécutoire rendu en pleine connaissance sur l'affaire : elle vient donc à substituer la mesure provisoire (58).

Il en suit ultérieurement que la mesure provisoire ne peut pas subsister sans le procès sur le fond : ainsi le code de procédure civile stipule que la mesure devient caduque (elle perd donc son efficacité) lorsque le jugement sur le fond n'est pas introduit dans le délai de trente jours à partir de la date où la mesure a été ordonnée. De même le code frappe la mesure provisoire de caducité en cas d'extinction de l'instance au fond (art. 669-novies, 1er alinéa, c.p.c.). La mesure devient aussi caduque si la partie qui devait prêter une caution ne l'a pas fait dans le délai fixé par le juge (art. 669-novies 3e alinéa c.p.c.).

La caducité est déclarée par le même juge qui a rendu la mesure provisoire, sauf que dans le cas où elle est provoquée par le rejet de la demande sur le fond : dans ce dernier cas c'est au juge du fond de déclarer la caducité de la mesure dans son arrêt (art. 669-novies, 2e et 3e alinéa, c.p.c.).

Pour ce qui est de la rétractation des mesures provisoires, il faut tenir compte du fait que l'absence d'autorité de chose jugée constitue une caractéristique essentielle des ordonnances dont il est ici question. Cette constante n'implique cependant pas que ces mesures puissent être modifiées ou révoquées ad nutum. Aux termes de l'article 669-decies c.p.c. la rétractation de ces mesures peut être demandée sur requête au juge chargé de la mise en état du litige sur le fond de l'affaire, en cours d'instance. Ces mesures peuvent aussi être simplement modifiées par le même juge, à la demande, soit du défendeur, soit du demandeur (ce dernier pouvant requérir l'extension de la mesure). La mesure ne peut être modifiée ou rétractée que lorsqu'il y a " changement de circonstances " (59).

La réforme de 1990 a accepté les suggestions provenant d'une partie considérable de la doctrine italienne, qui souhaitait l'introduction d'une voie de recours contre les ordonnances cautelari (60). L'art. 669-terdecies c.p.c. a ainsi prévu pour la première fois dans le système juridique italien le recours (reclamo) contre l'ordonnance du juge qui octroie la mesure. Ce recours doit être porté devant la formation collégiale de la même juridiction (tribunale) à laquelle appartient le magistrat qui a ordonné la mesure. Pourtant, celui-ci ne peut pas faire partie du collège qui va décider sur le recours en deuxième instance. Le délai de proposition du recours est de dix jours à partir de la date de la signification de l'ordonnance admettant la mesure (61). La formation collégiale ordonne la comparution des parties et rend, dans un délai de vingt jours à partir de la date du dépôt de la requête, une ordonnance définitive par laquelle elle peut confirmer, modifier ou bien rétracter la décision rendue en premier degré. Cette ordonnance n'est susceptible d'aucune forme de recours. Le président de la formation collégiale peut suspendre, sur la demande de la partie concernée, l'exécution de l'ordonnance frappée de recours jusqu'au moment où la décision sur celui-ci est rendue.

Le recours est admis tant contre l'ordonnance prononcée avant le commencement de la procédure sur le fond (ante causam)que contre celle prononcée pendant le cours de l'instance (lite pendente). Il n'est pas admis, par contre, contre le décret accordé inaudita altera parte lorsque la convocation de la partie adverse pourrait être préjudiciable à l'exécution de la mesure : dans ce cas la partie contre laquelle la mesure est ordonnée devra donc attendre que le juge de première instance confirme par une successive ordonnance le décret issu inaudita altera parte, pour enfin attaquer l'ordonnance. Il reste à savoir si le recours est admis aussi contre les autres ordonnances, que le juge peut émettre à l'égard de ces mesures : celle qui impose au requérant une caution pour l'éventuel dédommagement (art. 669-undecies) ou l'ordonnance qui déclare l'inefficacité de la mesure conservatoire (art. 669-novies), celle qui modifie ou rétracte la mesure à raison d'un changement des circonstances (art. 669-decies) et celle qui tranche les contestations nées pendant l'exécution de la mesure (art. 669-duodecies). Je partage l'opinion selon laquelle nous nous trouvons ici vis-à-vis de lacunes normatives, qui ne peuvent pas être comblées par l'interprète (62).

L'art. 669-terdecies c.p.c., dans sa version originale, n'admettait le recours à la formation collégiale que contre l'ordonnance " positive ", c'est-à-dire contre celle qui avait admis la mesure. Dans l'idée du Législateur il était clair que le recours contre l'ordonnance de rejet était inutile puisque l'art. 669-septies c.p.c. admettait (et il admet encore, bien entendu) la possibilité de représenter la requête au même juge qui l'avait rejetée. La Cour constitutionnelle, par son arrêt du 23 juin 1994, n. 253 (63) est intervenue une première fois en déclarant non légitime l'art. 669-terdecies c.p.c. (la norme sur le recours) " dans la mesure où il n'admet pas le recours contre l'ordonnance par laquelle la requête de la mesure conservatoire ou provisoire a été rejetée ". La Cour - en accueillant une suggestion formulée par la doctrine (64) - a jugé cette disposition contraire au principe d'égalité, qui doit être appliqué aussi à l'exercice du droit d'action et de défense en justice, aux termes de l'art. 3 et de l'art. 24 de la Constitution (65).

Il restait le doute si le recours était admis aussi contre les ordonnances qui déclarent l'incompétence ou rejettent la requête pour d'autres raisons de procédure. Ce doute a été résolu par la même Cour Constitutionnelle par un arrêt interprétatif : l'arrêt du 26 mai 1995, n. 197 (66), par lequel la question de légitimité constitutionnelle de la norme " dans la mesure où elle ne prévoit pas la possibilité de recourir contre le jugement de rejet de la requête de la mesure pour raisons de compétence " a été déclarée mal fondée, mais seulement parce que, par l'arrêt précédent, la Cour avait étendu le recours " contre toute mesure de refus de la protection conservatoire ou provisoire demandée, sans possibilité de faire des distinctions suivant les motifs du refus, de fond ou de procédure, y compris ceux relatifs à la compétence ".

On peut donc vraiment dire que le recours est devenu un remède général contre toutes les ordonnances qui refusent la mesure provisoire, quelle qu'en soit la raison (67).
 
 

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Notes

(58) Sur ce thème cf. Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc., p. 93 et s.

(59) Pour certains auteurs, l'expression doit recevoir une acception restrictive, en ce sens que seuls les faits postérieurs et étrangers à l'instance pourraient en justifier la rétractation. Dans cette approche, seraient considérées comme des circonstances nouvelles, les éléments nouveaux de preuve ou l'entrée en vigueur d'une nouvelle disposition légale. Cette première approche se fonde sur une interprétation littérale du texte et sur le souci de préserver la stabilité de la mesure. Pour d'autres, au contraire, la loi devrait être interprétée avec souplesse. Dans cette seconde approche, la condition du changement des circonstances devrait être interprétée comme permettant d'actualiser en permanence la mesure provisoire en fonction des développements de l'instance et de l'instruction de la demande au fond. Pour ces auteurs, la mesure provisoire devrait pouvoir être adaptée en fonction du déroulement de l'instance. Dans cette acception, resteraient des circonstances nouvelles les faits qui, bien qu'antérieurs au prononcé de la mesure provisoire, ne seraient qu'ultérieurement allégués, par le défendeur. De même, devraient être considérés comme des circonstances nouvelles, des faits inhérents à l'instance elle-même, telles les preuves versées au débat (Merlin, " La caducité et la rétractation des mesures provisoires ", dans l'ouvrage collectif Les mesures provisoires en droit belge, français et italien. Etude de droit comparé, sous la direction de J. Van Compernolle et de G. Tarzia, Bruxelles, 1998, p. 380 et s. ; cf. aussi Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc., p. 74 et s.).

(60) V. surtout Tarzia, " Rimedi processuali contro i provvedimenti d'urgenza ", Rivista di diritto processuale, 1986, p. 35 et s. ; cf. aussi Tarzia, " Les voies de recours contre les mesures provisoires en droit italien ", dans l'ouvrage collectif Les mesures provisoires en droit belge, français et italien. Etude de droit comparé, sous la direction de J. Van Compernolle et de G. Tarzia, Bruxelles, 1998, p. 331 et s. Pour une critique cf. Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc., p. 108 et s.

(61) La détermination du moment à partir duquel (dies a quo) il faut calculer les dix jours n'est pourtant pas sans difficultés : sur le problème cf. Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc., p. 119 et s.

(62) Cf. aussi Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc., p. 115 et s. ; dans le même sens v. Tarzia, " Les voies de recours contre les mesures provisoires en droit italien ", préc., p. 336.

(63) V. Foro italiano, 1994, I, c. 2005, note Capponi ; Corriere giuridico, 1994, 950, note Tommaseo ; Giurisprudenza italiana, 1994, I, c. 409, note Consolo.

(64) Oberto, Il nuovo processo cautelare, préc., p. 114 et s.

(65) La Cour a remarqué que la norme donnait une " possibilité majeure de faire valoir ses raisons à celui qui résiste à la requête de la mesure provisoire vis-à-vis de celui qui présente cette requête " : une telle discrimination n'est pas justifiée, parce que " la mesure, qu'elle soit positive ou négative, pèse en tous cas sur le domaine personnel ou patrimonial des deux parties ". Elle a remarqué encore que la possibilité de renouveler la requête de la mesure provisoire au même juge qui l'a déjà repoussée n'est pas une raison suffisante pour exclure le recours, qui constitue une garantie meilleure, parce que sur ce recours " est appelé à décider un juge différent de celui qui a prononcé la décision attaquée ". Elle est intervenue donc par un arrêt additif, qui a, pour ainsi dire, complété la norme (Tarzia, " Les voies de recours contre les mesures provisoires en droit italien ", préc., p. 337).

(66) V. Rivista di diritto processuale, 1995, p. 922 et s., note Ghirga.

(67) Tarzia, " Les voies de recours contre les mesures provisoires en droit italien ", préc., p. 337 et s.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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