2) Quel est l'étendue de l'obligation du médecin d'informer le patient avant une opération ou un traitement ?

Selon un arrêt récent de la Cour de cassation (28) le médecin doit informer le patient sur la nécessité, la nature, les difficultés et les risques de toute opération ou de tout traitement auquel le client doit être soumis, de façon à permettre à celui-ci de décider si procéder oui ou non à l'exécution de l'intervention ou du traitement, par le biais d'une comparaison équilibrée des avantages et des inconvénients.

Pour ce qui est plus proprement des risques, l'avis de la Cassation est que le devoir d'information s'étend aux risques prévisibles et non pas aux "résultats anormaux s'approchant des limites du cas fortuit". Autrement dit, le médecin doit éviter que le patient, effrayé par la représentation de risques tout à fait exceptionnels, refuse une opération qui serait pourtant utile pour lui. L'information doit également inclure l'illustration des soins et des traitements alternatifs éventuellement existant, ainsi que des risques que ces derniers entraînent. Lorsqu'un traitement comprend plusieurs phases autonomes comportant des choix à faire, le devoir d'information s'étend aussi à ces phases et aux risques relatifs (29) : on parle donc à ce propos d'une obligation de clare loqui (parler clairement) au contenu normalement illimité.

Très clair au sujet de l'étendu du devoir d'informer le patient est aussi le code de déontologie médicale, qui, dans son art. 29, stipule ce qui suit :

"Art. 29 (Renseignements au patient)

Le médecin a le devoir de donner au patient, en tenant compte de son niveau de culture et d'émotivité et de ses capacités de discernement, les informations les plus sereines et efficaces sur le diagnostic, sur le pronostic, sur les perspectives thérapeutiques, ainsi que sur les conséquences vraisemblables de la thérapie, tout comme de la non-effectuation de la thérapie. En faisant cela le médecin doit être conscient des limites des connaissances médicales, aussi afin de recevoir la meilleure adhésion de la part du patient aux propositions diagnostiques et thérapeutiques.

Dans tous les cas chaque demande de renseignement de la part du patient doit être satisfaite. Les renseignements relatifs au programme diagnostique et thérapeutique peuvent se limiter aux éléments que la culture et les conditions psychologiques du patient lui permettent de comprendre et d'accepter. Le médecin devra éviter toute précision superflue concernant les aspects scientifiques.

Les renseignements concernant pronostics graves ou fatals ou tels à pouvoir procurer des préoccupations et des souffrances particulières au patient doivent être donnés avec précaution, en utilisant une terminologie pas traumatisante, sans jamais exclure la possibilité de donner au patient une lueur d'espoir.

La volonté du patient, librement et actuellement exprimée, doit inspirer le comportement du médecin, dans les limites des pouvoirs, de la dignité et de la liberté qui appartiennent à la profession médicale.

Il appartient aux responsables des structures hospitalières et des cabinets de consultation d'établir les modalités d'organisation pour assurer le renseignement correct des patients en accord et collaboration avec le médecin traitant".

Un secteur particulier de l'activité médicale où le médecin est astreint à une obligation d'information très pointue est celui de la chirurgie esthétique, dont on a déjà fait mention (30). Ici, en effet, le chirurgien ne doit pas seulement informer le client des risques potentiels, mais aussi des situations pouvant rendre l'intervention inutile du point de vue du résultat espéré par le client. A ce propos la Cour de cassation a condamné au paiement des dommages-intérêts un chirurgien qui avait opéré aux seins une danseuse strip-teaseuse professionnelle. L'opération avait réussi, puisque les seins étaient plus fermes et la patiente avait pu avoir une meilleure silhouette, mais le médecin avait omis d'informer la danseuse que l'intervention comporterait des cicatrices permanentes qui lui empêcheraient de continuer à s'exhiber en public (31). Comme il a été justement remarqué en doctrine (32) cette nature tout à fait particulière de l'objet du devoir d'informer est la conséquence du fait que l'obligation du chirurgien esthétiste est "de résultat" et non pas "de moyens".
 
 

3) Dans quelles circonstances l'opération ou le traitement d'un patient peuvent-ils avoir lieu sans information resp. consentement préalables ?

La première question qu'il faut se poser est si le médecin peut - pour n'importe quelle raison - cacher à son client l'existence d'une maladie grave. Autrement dit, on se demande s'il existe dans notre système un "devoir de réticence" de la part du médecin. Il faudra d'abord rappeler à ce sujet que le code de déontologie médicale en vigueur en France (33) stipule expressément que "dans l'intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic graves, sauf dans les cas où l'affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination" (34). En Italie un ancien arrêt de la Cour d'Appel de Milan avait excusé le médecin qui avait caché à son patient la présence d'un cancer (35), tandis qu'une partie de la doctrine soutient qu'une disposition telle que celle prévue par le code français serait contraire à l'ordre public italien (36).

En réalité il ne faut jamais oublier que le devoir du médecin est principalement celui de protéger la santé de son client : c'est pour cela qu'il doit d'abord comparer attentivement les enjeux. L'information pourra donc être incomplète lorsque le médecin a raison de croire que la connaissance de la vérité pourrait préjuger la santé du malade (on peut penser ici aux cas de certains malades mentaux ou cardiopathes) : c'est la solution du code de déontologie médicale italien qui, à l'article 29, alinéa 4, stipule que "Les renseignements concernant pronostics graves ou fatals ou tels à pouvoir procurer des préoccupations et des souffrances particulières au patient doivent être donnés avec précaution, en utilisant une terminologie pas traumatisante, sans jamais exclure la possibilité de donner au patient une lueur d'espoir". Dans ce cas-là le médecin devra cependant informer correctement les parents proches du malade, même si le code de déontologie actuellement en vigueur (à la différence du précédent) considère comme seul interlocuteur du médecin le malade et non pas ses proches (37). Ce comportement est par contre prévu comme obligatoire, par exemple, par une loi de la région Toscane (38).

Mis à part le cas qu'on vient d'évoquer, l'opération ou le traitement d'un patient peuvent avoir lieu sans information ou consentement préalables dans le cadre des "traitements sanitaires obligatoires", qu'on a déjà cités (39). Ici, à vrai dire, il faut remarquer un conflit entre les dispositions du code de déontologie médicale, d'un côté, qui stipule (art. 33) que "L'opposition du patient ou du son représentant légal n'a pas effet dans les cas où la loi prévoit un traitement sanitaire obligatoire" et les lois sanitaires, de l'autre côté, aux termes desquelles (40) "toute investigation et tout traitement sanitaire obligatoire (.) doit s'accompagne d'initiatives visant à assurer le consentement et la participation des personnes soumises à l'investigation ou au traitement". Ce contraste peut être atténué en remarquant que les dispositions n'expriment qu'un but que le praticien doit essayer d'atteindre, mais que le consensus du patient ne peut évidemment pas constituer une condition impérative de tout traitement obligatoire, si on ne veut pas nier l'idée même du traitement obligatoire.

D'ailleurs il ne faut pas oublier à ce propos ce qui est stipulé sur le plan international par la convention du Conseil de l'Europe pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine) : "La personne qui souffre d'un trouble mental grave ne peut être soumise, sans son consentement, à une intervention ayant pour objet de traiter ce trouble que lorsque l'absence d'un tel traitement risque d'être gravement préjudiciable à sa santé et sous réserve des conditions de protection prévues par la loi comprenant des procédures de surveillance et de contrôle ainsi que des voies de recours" (cf. art. 7).

Finalement la règle du consentement éclairé et de l'information du patient peut être dérogée en cas de nécessité, lorsque le patient n'est pas capable de former une volonté consciente dans le sens favorable ou contraire au traitement ou à l'opération (41). Cette situation d'incapacité peut aussi être momentanée, lorsqu'il y a urgence d'intervenir. A ce propos, la convention du Conseil de l'Europe pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine) stipule que "Lorsqu'en raison d'une situation d'urgence, le consentement approprié ne peut être obtenu, il pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalement indispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée" (cf. art. 8).

En ce qui concerne l'information des conjoints on a déjà mentionné la solution du code de déontologie italien. En France le même code stipule que "Si le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité" (cf. art. 36, alinéa 3).

Il ne faut pas oublier enfin que la convention du Conseil de l'Europe pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine) impose au médecin de prendre en compte même les souhaits précédemment exprimés au sujet d'une intervention médicale par un patient qui, au moment de l'intervention, n'est pas en état d'exprimer sa volonté (cf. art. 9).
 
 
 

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Notes

(28) Cass., 15 janvier 1997, n. 364, préc.

(29) Cf. Cass., 15 janvier 1997, n. 364, préc.

(30) Cf. supra, n. 1.

(31) Cf. Cass., 8 août 1985, n. 4394, préc.

(32) Cf. De Matteis, La responsabilità medica. Un sottosistema della responsabilità civile, préc., 63.

(33) Cf. le Décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995, portant code de déontologie médicale, dont le texte est disponible à la page web suivante : <http://195.46.210.56/WebCNOM/Omsi98271.nsf/V_DE/decret?opendocument>.

(34) "Article 35

Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.

Toutefois, dans l'intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic graves, sauf dans les cas où l'affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination.

Un pronostic fatal ne doit être révélé qu'avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite".

Pour un commentaire exhaustif de cette disposition cf. le site web suivant : <http://195.46.210.56/WebCNOM/Omsi98271.nsf/V_CAC/ARTICLE+35?OpenDocument>.

(35) Cf. App. Milano, 16 octobre 1964, Foro it., 1965, I, 1083.

(36) Cf. Cattaneo, Il consenso del paziente al trattamento medico-chirurgico, préc., 961.

(37) Bilancetti, La responsabilità penale e civile del medico, Padova, 1996, 119. En ce qui concerne les rapports avec les conjoints du malade le code de déontologie médicale italien (cf. art. 30) stipule que "Les renseignements aux conjoints ne sont admis que si le patient le permet, ou bien - sous réserve de la disposition de l'art. 9 [secret professionnel] - lorsque la santé ou la vie d'autrui sont en danger".

(38) Cf. art. 5 de la loi de la Regione Toscana n. 36 du 1er juin 1983 ("lorsque le médecin pense qu'une information directe soit inopportune, les données [.] sont placées à la disposition des parents proches du malade, où, s'il n'y en a pas, des personnes qui se chargent de celui-ci".).

(39) Cf. supra, n. 1.

(40) Cf. les articles 1, alinéa 5, de la loi n. 180 du 13 mai 1978 et 33, alinéa 5, de la loi n. 833 du 23 décembre 1978.

(41) Cf. Cass., 25 juillet 1967, n. 1950, préc. ; Cass., 18 juillet 1975, n. 2439, préc. ; Cass., 29 mars 1976, n. 1132, préc.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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